Monotype

Monotype

1887. Dite aussi « Lanston Monotype Machine ».

L’étude de ce système tient une place à part, car, même si une description détaillée ne s’impose pas (cette machine est encore en fonctionnement dans quelques ateliers de par le monde), son histoire est moins bien connue que celle de son éternelle concurrente, la Linotype. C’est pourquoi, en plus d’une approche rapide dans cette page, nous proposons également une étude plus approfondie des principaux prototypes (la Type Forming Machine, la Triangle Monotype, les claviers) ainsi que du parcours de son inventeur, Tolbert Lanston.

Une autre raison pour cette étude détaillée est que le « système Monotype » contient en germe, dès ses prototypes, des principes qui permettront l’éclosion, dans la deuxième partie du vingtième siècle, de la composition « programmée » : avec la séparation entre saisie et composition, l’enregistrement de la saisie sur bande, l’attribution de valeurs numériques aux caractères pour le calcul de la justification, Tolbert Lanston, bien que s’appuyant sur des inventions existantes, a jeté les bases d’un système fondateur, là où la Linotype, avec son approche « analogique » (par exemple le mécanisme des espaces-bandes), ne pouvait apporter grand-chose au monde de la numérisation et de l’informatique. N’oublions pas non plus que la Monotype, en Angleterre particulièrement, a été au centre d’un mouvement de création typographique (dessin de polices de caractères) qui a irrigué toute l’édition de livres au vingtième siècle1.

Un premier brevet, pris en 1887, porte sur un système qui poinçonnait les caractères sur des bandes de métal, à partir de deux bandes perforées qui déclenchaient des contacts électriques. C’est la Type Forming Machine. On trouve déjà sur cet appareil les matrices (au nombre de 196) disposées en damier, avec déplacement dans deux directions perpendiculaires. En 1890, avec la Triangle Monotype, les caractères ne sont plus emboutis, mais fondus. En 1893 sont présentés à l’Exposition de Chicago des modèles, encore expérimentaux, mais avec une seule bande perforée, de double largeur, qui était « déchiffrée » par un peigne dont les dents mobiles agissaient sur des leviers articulés.

Sur les premiers claviers, les perforations étaient obtenues directement par l’appui des touches, mais le calcul de la justification à partir des unités allouées à chaque caractère est déjà présent.

En 1894 un tournant est pris, avec la mise en construction d’une cinquantaine de machines et l’intervention de J.S. Bancroft, talentueux ingénieur de la firme Sellers & Co. à Philadelphie. Un modèle simplifié, à 132 caractères, est mis sur le marché.

Les années suivantes, alors que T. Lanston est plus ou moins « mis sur la touche », la Monotype prend son essor, avec une fondeuse entièrement revue par Bancroft, qui revient aux 225 matrices. En 1897, la Monotype traverse l’Atlantique pour s’implanter en Angleterre, où elle trouve un accueil enthousiaste et un appui financier considérable. En 1898 une commande est passée par le « Government Printing Office » d’Australie. La machine apparaît en France à l’Exposition de 1900 à Paris. En 1908, le clavier (modèle D) prend son aspect définitif. Déjà à cette date, plus de 1 100 fondeuses et 1 550 claviers étaient installés.

Le clavier, modèle 1893
La fondeuse, modèle 1893

Tolbert Lanston (1844-1913) ne fut pas le seul inventeur à parier sur la séparation du clavier et de la fondeuse, ainsi que sur la fonte des caractères isolés.

Déjà en 1871 Charles A. Westcott (New Jersey) avait inventé une fondeuse commandée par un clavier. Les matrices étaient montées sur des barres comparables à celles d’une machine à écrire, et venaient se plaquer sur un moule à chaque frappe d’une touche. Cette machine fut présentée à l’Exposition du Centenaire (Philadelphie, 1876).

La bande perforée avait déjà été utilisée dans ce domaine par Mackie (1867). Elle est même mentionnée en 1848 par D. Mackenzie, et par William Martin l’année suivante, qui décrit en détails un système s’adaptant aux machines de Clay et Rosenborg d’une part, et de Young et Delcambre d’autre part. Et n’oublions pas la machine du Russe Kniaghininsky, brevetée quelques mois avant celle de Mackie, mais qui resta au stade du prototype. Le Graphotype Goodson, vers 1884, employait aussi la bande perforée et la fonte de caractères isolés. Le transmission de données entre clavier et fondeuse reprenait les principes du télégaphe de Wheatstone (Angleterre, 1859).

La Meray-Rozar, sans doute inspirée par la Monotype, exploitait le même principe, et avec des innovations techniques. Voir aussi la Dyotype de M. Pinel. Et, bien plus tard, la Solotype. Mais la Monotype s’est imposée pour la composition mécanique des travaux de qualité, en réfutant les prévisions de bon nombre d’observateurs qui, à la fin du dix-neuvième siècle, prédisaient le succès à la machine à composer qui serait la plus simple dans son fonctionnement…

La Monotype en couverture de la revue américaine Practical Mechanics de février 1939 (revue de vulgarisation scientifique, équivalent de notre Science et Vie)

A titre de curiosité, on trouve dans le catalogue de la maison Ofmag (Paris), en 1955, des machines construites en URSS, sous le nom de « Singletype », modèles « MK-2 » pour le clavier et « MO-2 » pour la fondeuse, en tous points identiques aux matériels vendus par la Société Anonyme Monotype (mais la fondeuse pèse 1,1 t, soit 400 kg de plus que la « vraie » machine… Le même importateur proposait, dans la gamme Linotype, la marque « Novatype ».

Pour aller plus loin, voir les pages consacrées à Tolbert Lanston, à ses brevets divers, à l’évolution des claviers, aux premières machines : la Type Forming Machine et la Triangle Monotype.

[Le terme « monotype » avait déjà été utilisé vers 1850, en France, par un fondeur de Lyon, M. Calès, pour une machine à fondre les caractères. Cf. Paul Dupont, Histoire de l’imprimerie, 1853.)

Réf. : Revue des arts graphiques, 1893.
La Nature, 1901.
Les Archives de l’imprimerie.
Inland Printer, septembre 1903.
Sherman, The Genesis of Machine Typesetting.
Pour un comparatif (très subjectif, puisque rédigé par Henry Garda, concessionnaire Monotype à Paris) entre Linotype et Monotype, à l’époque où la Linotype & Machinery Limited présentait la « Linotype à quatre magasins », voir la brochure
Les Deux Cloches, Paris, 1912, 64 p.
Site Alembic Press.
Le site suisse de l’écomusée API à Genève.

Un historique succinct sur le site Eye Magazine.

  1. Dernière raison pour avoir développé ces pages autour de la Monotype : j’aime bien cette machine… ↩︎