Électrotypographe
Dite aussi « Machine à composer Rozar », « Meray-Rozar », « Électrotype ».
1898.
Cette machine aurait pu concurrencer la Monotype, car elle en reprenait le principe, mais avec des solutions techniques plus novatrices dans certains domaines : usage de l’électricité pour lire la bande perforée (à 7 canaux), clavier standard de machine à écrire (« type Columbia »). La société créée pour exploiter la Meray-Rozar avait même prévu, en 1900, d’établir des « fabriques de composition » réunissant plusieurs fondeuses, auxquelles les imprimeurs enverraient leurs bandes perforées, réalisées sur des claviers qui leur auraient été prêtés.
Construite à Nuremberg par la maison Schuckert et Cie selon les plans de son inventeur, un Hongrois, Coloman Rozár (associé à son compatriote C. Méray-Horváth1), cette machine fut installée au Temps (en 2 exemplaires), à Paris, mais elle ne résista pas face aux autres matériels.
Le clavier comprend 3 rangées de 11 touches2, chacune donnant accès à 3 caractères (par exemple, la touche du b bas de casse donne aussi accès au B capitale et au point d’exclamation). Au fur et à mesure de la frappe, la machine perfore la bande de papier, et en même temps imprime sur un autre rouleau de papier les lettres saisies, ce qui permet d’obtenir une épreuve avant la fonte.
La justification est automatique. Averti de l’arrivée en fin de ligne, l’opérateur, qui suit des yeux le déplacement d’un curseur sur un disque représentant la longueur de ligne, choisit de terminer avant d’atteindre cette longueur (la justification positive ajoutera alors une valeur aux espaces) ou un peu après (et le mécanisme enlèvera la valeur calculée aux espaces). Le clavier comptabilise les valeurs des lettres et des espaces par un système mécanique.
Citons Victor Breton dans Les Archives de l’imprimerie : « […] c’est cette machine qui est le plus à craindre, car avec sa machine à écrire, qui peut se rentrer n’importe où, sans force motrice puisqu’elle peut marcher à la pédale, […] n’importe qui peut […] la faire marcher. On voit ce que devient par là la réglementation du travail des femmes et des enfants, avec la machine à écrire dans sa chambre à coucher. »
La fondeuse pèse 1,5 t. La bande perforée est lue par un système de « palpeurs » faisant contact électrique quand ils rencontrent une perforation, et actionnant un disque denté. Le reste du fonctionnement est mécanique. Le disque déplace, par un ressort, la matrice voulue pour qu’elle se place en face du moule. Après la fonte, la lettre remonte en passant entre des fraises qui enlèvent le jet et les bavures, et prend place sur une galée. Comme sur la Monotype (et contrairement à la Dyotype), la fonte commence par la dernière lettre saisie, mais un modèle plus perfectionné, présenté en 1907, permettait la lecture de la bande dans le sens même où elle sortait du clavier, ce qui autorisait la jonction des deux machines.
Le porte-matrice contient un nombre de « noyaux » égal à celui des touches du clavier. Ces noyaux, qui « ressemblent à un chapelet de champignons », comprennent chacun trois matrices (bas de casse, capitale, plus un autre signe).
La cadence de la fondeuse est de 4 500 à 5 000 lettres à l’heure.
L’inventeur avait prévu un développement de son système, sous le nom de « télé-typographie », consistant à utiliser l’appareil Baudot (utilisé alors pour la transmission télégraphique). Il en avait d’ailleurs repris les 7 canaux sur ses bandes perforées : 5 pour coder les lettres, et 2 en plus pour coder les majuscules et autres signes, soit en tout 93 signes typographiques différents. Des essais ont même eu lieu, à Paris, entre la place de la Victoire et le boulevard des Italiens, où était installé le Temps. Et M. Rozar envisageait alors de fondre dans plusieurs villes françaises, simultanément, une composition saisie à Paris.
Une description détaillée de ce système a été donnée par la revue La Nature d’avril 1902, avec gravures représentant le clavier-perforateur, le système de bande perforée, la fondeuse, la sortie de la composition sur galée.
En 1908 elle figurait encore à une exposition d’arts graphiques à Vienne. Et l’hebdomadaire Le Génie Civil lui consacra cette année-là un article très élogieux, où la comparaison avec la Monotype, la Linotype ou d’autres machines était nettement en faveur de la machine hongroise. On annonça cependant peu après la fin de sa construction.
La « Meray-Rozar » montre que ce ne sont pas toujours les systèmes les plus avancés techniquement qui s’imposent durablement. L’histoire de l’informatique en fournit d’autres exemples…
Réf. : Les Archives de l’imprimerie, 1900.
La Nature, 26 avril 1902.
L’Imprimerie, 30 oct. 1900.
L’Intermédiaire des imprimeurs, 1902.
Inland Printer, septembre 1903 (avec photos).
Le Génie civil, 15 août 1908.
- Un brevet avait déjà été pris en 1897 par C. Méray-Horváth, pour une machine très différente, puisqu’il s’agissait, dans un système en rotation continue, de presser des empreintes (poinçons) dans un carton-matrice, qui sert de moule pour une opération de stéréotypie. ↩︎
- Plus tard le clavier fut porté à 97 touches. ↩︎