Soixante ans de bouillonnement, entre 1840 et 1900, où, comme au Crétacé, tout a été essayé non pas pour créer de nouvelles espèces vivantes, mais pour imaginer des machines pouvant remplacer le travail des typographes devant leurs casses. Et puis, à la fin du siècle, deux événements éruptifs majeurs : la Linotype et la Monotype, viennent faire table rase de toutes ces tentatives, de tous ces dinosaures mécaniques inadaptés à leur époque. Une nouvelle ère s’ouvre, sans pitié pour tant d’inventeurs jetés aux oubliettes de l’histoire par une sélection impitoyable1…
Mais, comme les fossiles cachés dans les strates géologiques, on peut encore retrouver, un siècle et demi plus tard, de nombreuses traces de ces courageuses tentatives.
Le paléontologue typographe pourra, d’abord, explorer les revues professionnelles de cette époque, qui se faisaient l’écho, plus ou moins précis, de ces nouveaux matériels. Avec enthousiasme ou bien scepticisme, les chroniqueurs décrivaient la nouvelle invention, parfois accompagnée d’une gravure. Plus rarement, un essai en atelier permettait de juger plus en détail l’intérêt du nouveau procédé.
Dans sa recherche, l’historien pourra également s’appuyer sur quelques ouvrages (le plus ancien publié en 1900) qui déjà opéraient une classification des nouveaux matériels, publiaient des photos et gravures, et lançaient des hypothèses sur le futur. Après les années 1920, logiquement, on ne trouve plus de nouveaux livres sur le sujet, car l’évolution technique, calée autour de deux procédés, n’apporte plus de matière intéressante. Mais on retrouve un regain d’intérêt dans les années 1970, avec un ouvrage américain assez complet.
Enfin, une promenade sur diverses pages internet, par exemple associées à des musées de l’imprimerie, permet de retrouver quelques machines sauvées du Déluge, ou même (comme dans le cas de la machine Paige, à laquelle était associé Mark Twain), des données historiques beaucoup plus détaillées.
Il reste encore, après la campagne de collecte, à examiner, détailler, classer, comparer… Parfois, des ambiguïtés apparaissent, souvent dues à des versions successives d’une même machine. Il faut aussi, derrière la naïveté (souvent feinte) ou l’ironie des professionnels de l’époque confrontés à ce bouleversement, déceler les avancées réelles, quelquefois les piétinements obstinés dans une fausse direction.
Néanmoins, plus on s’imprègne de ces documents, de ces plans quelquefois maladroits, de ces promesses de procédés révolutionnaires, plus on s’attache à cette « communauté » d’inventeurs. Communauté, le terme ne convient qu’à moitié, car presque toujours ces tentatives sont le fait d’individus isolés les uns des autres, ne profitant même que rarement des idées avancées par leurs prédécesseurs ; mais communauté d’esprit certainement, car la plupart ont « la foi », celle des chercheurs que rien n’arrête, et qui, tels Guillaume d’Orange, n’ont pas besoin d’espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer…
Bien sûr, il ne saurait ici être question d’exhaustivité. Le nombre des inventions (près de 300 brevets aux États-Unis et en Europe entre 1820 et 1925, selon Richard E. Huss), les renseignements fragmentaires recueillis sur certains modèles, ne permettent pas un inventaire complet.
Si vous n’êtes pas familier avec le monde de la typographie et en particulier de la composition, n’hésitez pas à découvrir (ou réviser) les notions de base de cette technique.
Pour prolonger cette présentation et voir sous quel angle cette recherche a été menée, lire la page d’historique.
Une étude plus poussée est proposée pour la Monotype, pour deux raisons : son histoire a été moins vulgarisée que celle de la Linotype ; et son principe, dès le départ, avec ses calculs d’unités pour la justification, a ouvert la voie aux évolutions futures de photocomposition ou de composition numérique.
Les expositions universelles sont un moyen intéressant de voir comment ces machines ont été reçues par le public et par les professionnels, et de suivre leurs évolutions. On a donc consacré une section à ces expositions.
On trouvera dans l’album une liste des principaux inventeurs. D’autres noms apparaissent au fil des articles de l’époque, avec trop peu de détails pour qu’ils soient retenus. Certains sont repris dans une page « autres ».
La bibliographie recense les principaux ouvrages et les revues professionnelles qui ont fourni la matière première de cette recherche.
Un glossaire, limité aux termes d’imprimerie qui ont un rapport avec les machines à composer, permet de définir certains termes, dont certains appartiennent à l’histoire de la typographie…
Deux aspects particuliers liés à cette mécanisation sont abordés dans :
Composition mécanique et qualité typographique et
Conséquences sociales de la composition mécanique.
Une mention particulière au sujet des illustrations : la plupart sont des reproductions à partir des gravures parues dans les publications de l’époque. C’est l’occasion d’admirer le travail de ces graveurs sur bois qui reproduisaient avec une fidélité et une finesse remarquables des machines souvent compliquées. Elles permettent dans bien des cas de mieux comprendre les mécanismes en jeu que n’auraient pu le faire des photographies.
Enfin, si vous ne savez pas trop par où commencer, et voulez simplement vous faire une idée en découvrant trois ou quatre machines : allez voir la Paige, la Church, la Kastenbein, la Thorne…
- Comme le dit joliment le site de la Bibliothèque électronique hongroise : « Sur les merveilleux appareils de la Linotype et de la Monotype brillent les gouttes de sueur des inventeurs anonymes d’il y a cent ans. » ↩︎