Claviers Monotype

Les claviers Monotype – petit historique

La première représentation d’un clavier Monotype apparaît à l’occasion de l’Exposition de Chicago (1893), six ans donc après la présentation de son premier prototype. Au sujet des appareils plus anciens, T. Lanston indique seulement, à cette époque, qu’il a déjà conçu plusieurs machines « pour préparer les bandes perforées ». Tentons une hypothèse, en rappelant que Lanston a été inspiré par Hollerith pour mettre au point son système. Or Hollerith, qui gagne sa notoriété en mettant au point les cartes perforées pour traiter les informations, avait d’abord imaginé un appareil utilisant une bande perforée. Et ces bandes de papier étaient « saisies », de la façon la plus simple possible, par un « poinçon » tenu dans le creux de la main (voir fig. 3 du brevet déposé par H. Hollerith en 1885, figure ci-après). Ainsi il n’est pas impossible que T. Lanston se soit dans un premier temps consacré à la mise au point de la « composeuse », et que les premières bandes perforées (doubles, sur la Type Forming Machine et sur la Triangle Monotype) aient été préparées de cette façon.

H. Hollerith, « Art of Compiling Statistics », US Patent 395782. Les perforations sont lues par un système (non représenté ici) de contacts électriques.
Le clavier en 1893

Le premier clavier qui apparaît donc, à Chicago, en 1893, produit déjà une bande unique, à 31 « canaux ». Il comporte 225 touches, plus 10, sur le côté droit, servant à coder la justification (par ajout de 0,001 à 0,01 pouce). La disposition des lettres reproduit fidèlement celle du châssis porte-matrices : chaque « colonne » regroupe des lettres de même largeur, avec les lettres les plus fines à gauche et les plus larges à droite. Au sein d’une même colonne, les lettres les plus fréquemment utilisées sont placées « en bas », c’est-à-dire plus proches de l’opérateur.

Le clavier est prévu pour des caractères de taille « nonpareille », soit du corps 6. L’unité de base pour ce corps est 0,0045 pouce. Les lettres les plus fines ont 6 unités, soit 0,027 pouce, chaque colonne progresse d’une unité, donc celle de droite regroupe des lettres de 20 unités, soit 0,09 pouce (Lanston indique, curieusement, 21 unités et 0,0945 pouce…).

Le clavier en 1893 (Monotype Recorder, 1937). Ces premiers modèles étaient fabriqués par la « Incandescent Arc Light Company of Brooklyn », à New York

L’appareil permet de composer directement en romain, italique et petites capitales. En plus des ligatures habituelles (fi, fl, ff…), on trouve également les couples « th » et « es ». La rangée du bas contient une série de touches « space », une par colonne.

Chaque touche transmet, par l’intermédiaire de leviers, son mouvement à un poinçon qui perfore la bande de papier. En même temps, elle déclenche la rotation de la « roue d’unités », chargée d’enregistrer au fur et à mesure le nombre d’unités, et de déplacer un curseur sur la réglette figurant la longueur de ligne. Quand l’opérateur atteint la « zone de justification », il repère, dans une petite fenêtre sous cette réglette, le nombre d’espaces justifiantes tapées dans la ligne (ce nombre est prévu entre 1 et 12). Sur le cadran placé dans la partie supérieure, un index gradué tourne devant les chiffres disposés sur des portions de cercle. En suivant sur l’index le numéro correspondant au nombre d’espaces, on tombe sur la valeur, lue sur le cadran, correspondant au nombre de millièmes de pouce qu’il faut ajouter à chaque espace pour justifier la ligne. Ainsi, si la valeur lue est « 11 », il faudra taper d’abord la touche « 10 » sur la série des 10 touches spéciales, puis « 1 », ce qui ajoutera 11 millièmes de pouce entre chaque mot. Pour finir la ligne, on baisse la manette latérale, qui provoque une perforation d’« envoi en galée », et la remise à zéro du mécanisme compteur d’espaces, de celui qui mesure la ligne ainsi que de l’indicateur de justification. Cette manette a aussi pour rôle de retendre un ressort à spirale qui permet d’actionner le mécanisme d’avancée de la bande de papier ainsi que les différents organes de « calcul ». Les deux petits poids qui pendent sous cette poignée n’ont pas de rôle « moteur », comme cela a parfois été écrit, ils servent simplement à tendre les cordelettes qui transmettent le mouvement d’un mécanisme à l’autre.

Le clavier de la « Limited Font »

Lorsque la Lanston Monotype Machine Company décida, à partir de 1894, de lancer la fabrication d’une première série de machines, elle s’adressa à l’entreprise Sellers & Co., à Philadelphie, et décida, pour concurrencer la Linotype sur son terrain, de concevoir une machine « simplifiée », avec seulement 132 matrices. Il fallut donc mettre au point le clavier correspondant.

Dessin paru dans la revue Black and White du 30 octobre 1897
Clavier adapté à la composeuse « Limited Font »

Ce clavier, construit comme la fondeuse par Sellers & Co., utilise 22 poinçons : il est prévu pour un dispositif de 11×11 matrices (la fondeuse contient 11×12 matrices, soit 132, mais une rangée semble n’avoir pas servi) ; comme la première rangée et la première colonne sont codées par l’absence de perforation, il suffit de 20 rangées de perforations, les deux autres étant utilisées pour déclencher la justification et l’envoi en galée. Pour le reste, malgré un aspect extérieur assez différent (dû probablement à l’intervention de J.S. Bancroft dans la mise au point du mécanisme), il fonctionne comme son prédécesseur. Il y a cependant 12 touches de justification au lieu de 10, et le nombre d’espaces inter-mots par ligne est compris entre 2 et 20. L’unité de base est ici 0,007 pouce ; les lettres les plus fines, toujours de 5 unités, mesurent donc 0,035 pouce, alors que les plus larges, sur la onzième « colonne » du clavier, ont 0,105 pouce de large.

Illustration parue dans The Illustrated London News du 6 novembre 1897

Tel était donc le clavier qui accompagna les 4 fondeuses embarquées à destination de l’Angleterre en 1897 et qui, probablement, fut le premier à être utilisé en production réelle.

Le premier clavier Bancroft

Le modèle suivant est, lui, entièrement conçu par J.S. Bancroft. Il reprend les grandes lignes du clavier précédent, mais en revenant aux 225 touches, et par conséquent aux 31 positions sur la bande.

Clavier Bancroft à 225 touches. US Patent J.S. Bancroft et W.H. Wood n° 628620

Une innovation importante : l’opérateur, pour déclencher la justification, lit directement sur le cadran les deux touches qu’il doit frapper (elles sont repérées par des lettres majuscules et minuscules, de A à O). Il n’a donc plus à décomposer mentalement la valeur lue en millièmes et en centièmes de pouce. Ces touches occupent, comme sur les claviers ultérieurs, les deux rangées supérieures du clavier. La « force motrice » qui entraîne les mécanismes d’avancée du papier et de calcul des unités est assurée cette fois par un poids sur la gauche du clavier, qui remplace le ressort à spirale de Lanston. Autre évolution importante, il est précisé qu’on peut changer le cadran pour travailler dans différentes sortes de caractères. Et la notion de « cadre intermédiaire » apparaît, même si elle ne rend pas encore la position des touches indépendantes des poinçons actionnés.

Le clavier « C »

Peu de temps après le clavier conçu par Bancroft, Tolbert Lanston « reprend la main » et conçoit un nouveau modèle, qui ne sera supplanté que par le « modèle D », en 1908. Le cadran qui porte les indications de justification est remplacé par un cylindre, ou tambour, qui peut être changé selon la taille des caractères saisis. Devant ce tambour un pointeur s’élève progressivement au fur et à mesure qu’on ajoute des espaces inter-mots. Mais surtout, c’est le premier clavier « pneumatique ». Les touches actionnées par l’opérateur déclenchent des valves, réduisant notablement l’effort nécessaire pour perforer la bande de papier. Ces touches restent disposées par rang de chasse croissante, des lettres les plus fines à gauche aux plus larges à droite ; les différents alphabets et touches spéciales sont toutefois distingués par des couleurs différentes.

Le clavier « modèle C », que T. Lanston fit construire par la Taft-Peirce Company of Woonsocket (Rhode Island)

En fin de ligne, après avoir frappé les deux touches de justification, il suffit d’enfoncer une touche pour que les différents organes de calcul reprennent leur position de départ, mus par l’air comprimé eux aussi. Les touches de justification sont repérées non plus par des lettres, mais par des nombres, de 1 à 15, elles correspondent à des valeurs de 0,0075 pouce pour la première rangée et 0,0005 pouce pur la deuxième, ce qui restera valable pour les machines suivantes.

Le modèle suivant le clavier « D », mieux connu car encore utilisé de nos jours, sera commercialisé en 1908. C’est à ce moment-là J.S. Bancroft qui conçoit les améliorations à apporter, et elles sont de taille : la disposition des touches se libère de celle des matrices sur la fondeuse, et les intermédiaires de clavier apportent toute la souplesse nécessaire pour composer dans des fontes et des corps variés. Par ailleurs, les 225 valves prévues sur le clavier C sont ramenées à 33, ce qui simplifie bien sûr la construction.

Réf. : Monotype Recorder, 1937 et 1949.
US Patent 59076
3.