Composition mécanique et qualité typographique
Les typos « conservateurs » mettaient l’accent sur le peu de productivité des nouvelles machines, leur propension à tomber en panne et leur coût.
Mais ils s’attachèrent également à en démontrer les conséquences sur la qualité typographique.
Pour un profane, le changement n’était pas évident : entre des caractères fondus avec soin, mais usés par un réemploi sous les presses, qui en écrasait petit à petit l’œil, et la composition des premières machines à lignes-blocs, avec les problèmes de lignes « bancales », de « cloisons » entre les lettres, d’alignement approximatif des matrices, seul un œil exercé pouvait faire la différence.
P. Cuchet, en 1907, se réjouit, lors d’une grève ayant coupé la distribution électrique, que les journaux, composés avec l’ancienne méthode, manuelle, aient pu ce jour-là être lus sans difficulté ni fatigue. « Dès le lendemain, la lecture de sa feuille – et aussi de la plupart des autres – redevint un martyre. » Les spécimens de composition, agrandis, qu’il donne pour illustrer sont propos ne sont pas, bien sûr, à l’honneur des machines linotypes1.
Il est certain que les inventeurs de machines à composer ont, pour la plupart, fait des concessions plus ou moins importantes à l’art typographique.
Souvent, ils ont opéré une simplification des chasses et des approches. La Monoline regroupe les matrices en 8 catégories de même chasse. Même chose pour la machine Fischer-Langen, où l’épaisseur des lettres est utilisée pour la distribution. Et 3 largeurs différentes seulement pour Mac Millan. Dans le système Monotype, les lettres sont réparties sur une échelle à 18 unités, et chaque rangée du porte-matrices (qui en comporte 14 au début, puis 15 et 16) aligne des lettres de même chasse. Sur la Linotype, les matrices peuvent prendre, théoriquement, n’importe quelle largeur fixée par le dessinateur de caractères ; mais ce n’est pas si simple : les lettres crénées posent un premier problème. Par ailleurs, les matrices duplexées, regroupant romain et italique par exemple, imposent des compromis.
Cette simplification n’a sans doute pas eu d’effets dramatiques sur la qualité. Les dessinateurs et graveurs ont su dépasser ces contraintes, et la riche création typographique suscitée par les machines Monotype est là pour contrebalancer cet argument. Par ailleurs, le système d’unités attribuées à chaque signe a été repris par les appareils plus récents, car il est en fait indispensable au traitement par calcul de la composition.
Deuxième point, les problèmes de fonte. Le remploi des caractères dans les machines du type « piano à caractères » était, d’un point de vue qualitatif, équivalent au système de la composition manuelle où les lettres sont remises en casse après l’impression. Encore que certaines machines bousculaient certainement un peu plus les caractères, et nécessitaient des crans qui les fragilisaient.
Les machines qui ont perduré avaient fait le choix de fondre des caractères neufs à chaque nouvelle composition, que ce soit en ligne ou isolément. Elles reprenaient le fonctionnement des premières machines à fondre (apparues vers 1815, et couramment utilisées vers 1845). Mais, sur les machines à lignes-blocs, la difficulté était de couler en une fois une quantité importante de métal, et il a fallu pour cela adopter un alliage pauvre en antimoine. Par ailleurs, le mouvement des matrices dans les Linotypes est à l’origine d’une usure qui provoque des coulures de métal entre elles, et donc des « cloisons » qui apparaissent à l’impression. Enfin, les lignes après la fonte doivent être rabotées, et cette opération, si le réglage n’en est pas parfait, provoque des lignes bancales.
La Monotype, elle, est mieux placée sur le chapitre de la fonte, puisqu’elle produit des caractères presque identiques à ceux fournis par les fondeurs traditionnels. Mais les premières machines installées causèrent bien des soucis aux imprimeurs, car les caractères, pour faciliter l’éjection, étaient légèrement coniques. La composition « bombait » quand on serrait la forme, les espaces « levaient » au tirage. Ces inconvénients furent corrigés petit à petit, même si les caractères légèrement graissés sur ces machines sont sans doute un peu plus délicats à manier que ceux pris dans une casse.
- Voir la référence de son ouvrage Études sur les machines à composer et l’esthétique du livre dans la bibliographie. ↩︎