Exposition universelle de 1889
A cette grande exposition, qui fut l’occasion de construire la tour Eiffel, les imprimeurs purent découvrir diverses machines à composer : Thorne, Fraser, Lagerman. Il semble que la Linotype, qui venait juste d’être introduite en Angleterre, bien qu’annoncée à Paris, ne fut pas présentée1. De même que la machine McMillan, dont les constructeurs déclarèrent forfait, comme expliqué ci-après2.
Voici le compte rendu dans le journal Inland Printer, de Chicago, en octobre 1889 : « Pas moins de trois machines à composer sont ou seront bientôt à l’œuvre dans le palais des machines, d’un intérêt fascinant. Il s’agit de la Thorne, qui fonctionne tous les jours, et des machines britanniques, la Fraser et la Lagerman, dont le constructeur n’a pas, jusqu’à présent, dépassé le stade de l’érection d’un grand stand, qui est entièrement vacant. La McMillan devait être exposée, et la firme d’Ilion a envoyé deux machines en France dans ce but […] ; mais la machine à distribuer a été tellement abîmée pendant le transport qu’ils ont dû les ramener […], et abandonner leur intention d’exposer. On pensait également que les gens de Mergenthaler exposeraient, mais on n’a rien vu d’eux.
« […] C’est la machine à composer et à distribuer Thorne qui attire le plus l’attention, située sur le stand du magicien de Menlo Park, Edison, assiégé par la foule. Extérieurement, l’appareil a une bien meilleure apparence que la machine Fraser ; […] Voyons maintenant la machine Fraser, qui se trouve à proximité d’un deuxième exemplaire de la Thorne, placée là, comme l’autre, par la succursale de Londres […]. Alexander Fraser, de l’imprimerie du gouvernement, à Édimbourg, revendique pour ses machines (une composeuse et une distributrice sont présentées) toutes les qualités annoncées pour les autres, à savoir qu’elles peuvent composer 12 000 ems et plus par heure en ligne continue, et que “la seule limite à la vitesse des machines est l’habileté de l’opérateur, car elles fixent ou distribuent aussi vite que les touches peuvent être touchées” […]. Mais la machine de Fraser apparaît comme étant compliquée et disgracieuse, malgré les affirmations contraires de l’inventeur […]. Les illustrations de cette machine, toujours dans les prospectus, sont vieilles et médiocres et ne seraient jamais tolérées par un Américain. Si vous publiez à nouveau un prospectus, M. A. Fraser, mettez des hommes à la place des femmes en tant qu’opérateurs. L’argument féminin bon marché est usé jusqu’à la corde. »
Côté français, les commentaires sur la Thorne sont moins enthousiastes3 : « La machine Thorn […] est un fort beau morceau de mécanique de précision, mais nous doutons fort qu’elle devienne jamais un instrument de production industrielle. Sa mise en marche exige le concours de trois personnes […]. Chaque signe doit porter un crénage spécial d’une précision pour ainsi dire mathématique […]. Non seulement la solidité des lettres se trouve compromise par ce crénage, profond et presque toujours multiple, mais la précision ne saurait exister qu’avec du caractère entièrement neuf […]. »
Continuons le compte rendu de cette exposition, toujours avec l’Inland Printer (août 1889) :
« Dans le vaste et magnifique Palais des Machines, où sont exposées les plus belles machines du monde, la Lagerman Typother & Justifier Company, 35 Queen Victoria Street, Londres, présente une de ses nouveautés ; son installation, maintenant terminée, est composée de rangs, de casses, de deux machines à composer et d’un justificateur. […] La Lagerman est relativement simple et facile à utiliser, l’opérateur se servant de ses deux mains pour saisir les lettres et les espaces, et les amener dans un entonnoir placé directement devant lui, les laissant tomber n’importe comment ; à l’aide de divers mécanismes, ils sont redressés et mis en ligne, et ainsi les mots sont formés. La vitesse moyenne est de 2 250 ems par heure, et le prix est de 300 dollars. Le justificateur, qui peut suivre le travail de quatre composeuses, est vendu à 550 $, un ensemble complet de quatre composeuses et d’un justificateur coûtant 1 600 $. A ce prix, l’avenir de cette machine est incertain, bien que le justificateur ait de meilleures chances de survie et que, par conséquent, son prix soit plus élevé. […]. Ses représentants à Paris sont S. Berthier et Durey, 46 rue de Rennes. »
Toujours concernant la machine de Lagerman, voici le commentaire dans une revue française4 : « Ce qui nous a surtout frappé, c’est la grande simplicité des trois “machines outils” qui la composent. Depuis Delcambre jusqu’à Fraser, le nombre des inventeurs de machines à composer ne laisse pas que d’être considérable ; les modèles qu’ils ont enfantés encombrent la fosse aux ours ; c’est une justice leur rendre : ils ont tous fait volumineux et compliqué. Avec le Suédois Lagerman nous entrons dans une voie opposée : pas de complications et pas de place inutilement occupée. Le compositeur reste compositeur, seulement il produit plus avec moins de fatigue : c’est un grand appoint pour le succès. »
Ce point de vue, qu’on retrouve chez d’autres typographes, pour lesquels la simplicité est la clé de la réussite, a bien sûr été invalidé par la suite des événements, car la Linotype et la Monotype, dans leurs catégories respectives, ne sont pas les machines les plus simples qui ont été imaginées5…
- En tout cas la presse professionnelle, française ou américaine, ne la mentionne pas. L’Imprimerie du 15 mai 1889 parle du «système en usage à l’imprimerie de la Tribune, à New-York » et détaille quelques inconvénients de cette machine, mais ne cite pas le nom de Linotype. ↩︎
- Voici la liste officielle des exposants dans cette catégorie :
– McMillan Type Setting Machine Co, à New York.
– Mergenthaler Printing Co, à Washington.
– Thorne Typesetting Machine Co, à Hartfort (États-Unis).
– Fraser, Niell et Co, à Edimbourg (Écosse).
– Lagerman Typotheter and Justifier Company Limited, à Londres. ↩︎ - Bulletin de l’imprimerie et de la librairie, 1er août 1889. ↩︎
- Bulletin de l’imprimerie et de la librairie, 1er juillet 1889. ↩︎
- Pour les machines à lignes-blocs, la Typograph ou la Monoline étaient plus compactes et plus simples. Pour les machines à caractères mobiles, la machine Johnson ou celle de Goodson étaient sans doute plus simples que la Monotype. ↩︎